Alors que le français sur objectifs spécifiques (FOS) explose, les réflexions sur ce domaine particulier de l’enseignement du français langue étrangère deviennent indispensables. Qu’est-ce que le FOS ? Que cache cette appellation ? Selon Florence Mourlhon-Dallies, spécialiste de la question, l’hétérogénéité des pratiques et des demandes est indéniable et nécessite une redéfinition claire du champ, tout comme une adaptation des outils didactiques.
Dans un article de janvier 2004 consacré à l’émergence du français sur objectifs spécifiques (FOS), G. Holtzer passait en revue les nombreuses appellations qui se sont succédé ces cinquante dernières années pour désigner l’enseignement du français (langue étrangère) à des fins utilitaires et/ou professionnelles. Elle en soulignait les chevauchements conceptuels et remarquait qu’en pratique les différentes étiquettes « français fonctionnel », « français de spécialité », « FOS » (au pluriel ou au singulier) sont fréquemment confondues. On nous pardonnera donc d’accroitre une liste déjà trop longue, en faisant état de récentes mutations du FOS dont le « français professionnel », « le français à visée professionnelle » et le « français langue professionnelle » sont les derniers – et sans nul doute provisoires – avatars. Dans la jungle des appellations
En nous limitant à la période qui va de 1990 à nos jours, nous nous arrêterons sur le « français de spécialité » et sur le « FOS » puis nous tenterons de positionner le « français professionnel », le « français à visée professionnelle » et le « français langue professionnelle » dans le champ didactique ainsi balisé. Pour une première définition du Français sur objectifs spécifiques, nous renverrons au Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde (CLE international), d’après lequel « Le français sur objectifs spécifiques (FOS) est né du souci d’adapter l’enseignement du FLE à des publics adultes souhaitant acquérir ou perfectionner des compétences en français pour une activité professionnelle ou des études supérieures. (p.109) ». Si l’on s’en tient à cette simple entrée en matière, à première vue, le FOS se définirait davantage par son public, ses préoccupations que par une méthodologie didactique qui lui serait propre. Il s’agit en somme d’une définition par défaut : le FOS s’adresse à des « non spécialistes » en français, pour lesquels la langue est tout autant un passage obligé qu’un objectif en soi. Dans de telles conditions, une appellation parait valoir une autre, puisqu’on pointe par ce moyen des opérations de formation successives plus que de véritables positionnements conceptuels
Il revient à J.-M. Mangiante et à C. Parpette (2004) d’avoir tracé de manière définitive la frontière entre le français de spécialité et le FOS ; c’est ainsi que la distinction entre Français de spécialité et FOS recouvre, au plan institutionnel et didactique, deux logiques : « celle qui relève de l’offre et celle qui relève de la demande. La première est une approche globale d’une discipline ou d’une branche professionnelle, ouverte à un public, le plus large possible. Elle tente de rendre compte de la diversité du champ traité. […]. Le FOS, à l’inverse, travaille au cas par cas, ou en d’autres termes, métier par métier, en fonction des demandes et des besoins d’un public précis » (p. 17). Le français de spécialité correspond à un ensemble de ressources et de démarches pédagogiques centrées sur des domaines (de spécialité) parmi lesquelles les enseignants puisent pour élaborer leurs cours, tandis que le FOS se caractérise par une ingénierie de formation sur mesure qui considère chaque demande comme unique. Cela explique que le FOS, pensé dans sa singularité, s’écrive alors au singulier (Français sur Objectif Spécifique). Une audience qui s’élargit
Ces différences identifiées, on remarque que ces dernières années le français de spécialité tout comme le FOS connaissent un renouveau : d’abord parce qu’émergent (ou renaissent) certains domaines de spécialité « porteurs » comme le français de la médecine mais aussi parce que, conjointement, les demandes de formation se diversifient en « niches » de plus en plus pointues (comme l’aéronautique, l’art floral, etc.) qui offrent d’heureuses perspectives au FOS. Parallèlement à ce renouveau, on note un second phénomène plus inédit : une demande d’amélioration des compétences en français pour l’exercice des professions, émanant le plus souvent d’organisations professionnelles fédérées en réseaux (office de professions, fédérations de branches de métiers, regroupement d’écoles spécialisées). Aux plans politique et économique, ces nouvelles demandes résultent de l’intensification des flux migratoires à tous les niveaux de qualification. Elles concernent principalement des étudiants ou professionnels en fin ou en complément de spécialisation et des migrants venus travailler en France ou dans un pays francophone.
Ces demandes, que nous rangerons provisoirement sous l’appellation fourre-tout de « français professionnel » ont des caractéristiques qui les différencient du FOS. D’abord parce que traditionnellement, le FOS s’adressait principalement à des personnes possédant déjà leur métier, relativement qualifiées, alors que le français professionnel concerne des personnes en complément de formation, voire des employés occupant des postes dits de « bas niveau de qualification ». Ensuite parce que le FOS était pensé la plupart du temps pour des personnes parlant déjà le français (un niveau de 120 h était en général requis) alors que le français professionnel peut concerner des débutants complets. Enfin, parce que le français professionnel peut mêler dans un même groupe des natifs et des non natifs, des apprenants relevant du FLS (français langue seconde) et des étudiants de FLE. À ce titre, le français professionnel, qui témoigne d’une double exigence de formation (en français et dans le domaine professionnel) n’est pas totalement situé dans le champ du FLE, mais le chevauche en partie. Radiographie des demandes en FOS
Si l’on établit une typologie des demandes en français professionnel, deux sous ensembles se dessinent. Le premier, relevant du « français à visée professionnelle », se place dans une perspective transversale aux différents domaines de spécialités et secteurs d’activité. Il a émergé dès la fin des années 1990, avec la publication d’ouvrages centrés sur la communication professionnelle, dont français.com chez CLE International qui est actuellement l’un des titres les plus représentatifs. Un tel ouvrage « aborde tous les aspects linguistiques et culturels de la vie professionnelle à travers des situations de communication liées au monde du travail ». Dans le même esprit, le Certificat de français professionnel de la CCIP vise des compétences « décloisonnées », comme rédiger un compte-rendu, une lettre, une note à partir de supports variés (tableaux, réunion, conversation téléphonique).
Le deuxième sous-ensemble ressortissant du français professionnel est, quant à lui, constitué de demandes plus spécifiques, apparues il y a moins de cinq ans. Ces demandes nécessitent la mise au point de programmes sur mesure en reprenant à leur compte la démarche du FOS et en l’adaptant à des fins professionnalisantes. Ce deuxième courant (qualifié de FLP) est à mettre en relation avec l’accroissement actuel – à tous les niveaux de qualification et dans tous les secteurs d’activités – de la « part langagière du travail », pour reprendre J. Boutet (1995). De fait, l’exercice des métiers est de plus en plus subordonné à la maitrise de la lecture et de l’écriture. Lire des consignes de sécurité quand on mélange des produits d’entretien, communiquer avec sa direction par Internet, sont autant de compétences qui deviennent indispensables pour se maintenir dans l’emploi ou pour en obtenir un. Et c’est ce développement de compétences de compréhension et de production partielles, adossées aux logiques d’exercice des professions, que recouvre pour l’essentiel l’appellation de FLP que nous sommes en train de développer dans le champ. Une innovation : le Français Langue
Afin de préciser ce qu’on entend par FLP, nous prendrons en France trois exemples concernant des publics variés : étudiants étrangers de l’École Boulle (métiers d’art), élèves en écoles d’ingénieurs en région parisienne, ouvriers turcs du bâtiment en Bretagne. Pour l’étranger, nous ferons place à l’expérience de M. Kautenburger, qui prépare depuis une dizaine d’années des étudiants en médecine d’Ulm à effectuer des stages pratiques en hôpitaux français. Nous ferons également appel à J. Archibald de l’université Mc Gill à Montréal, qui présentera la problématique des formations d’appoint requises en français par l’Office Québécois des Professions.
Les cas retenus en France concernent trois domaines différents : le design d’espace, l’informatique, le BTP. Les niveaux d’études des publics ciblés couvrent un large éventail : de bac+5 (pour les ingénieurs en informatique) à aucun diplôme reconnu en France (pour les ouvriers turcs du bâtiment). Mais par-delà cette diversité, c’est un même esprit qui anime les programmes réalisés en FLP.
Le secteur du bâtiment
Pour le BTP, nous renvoyons à l’élaboration d’un CD-Rom (Les mots pour construire) relatée par E. Letertre (2006) ; le produit final relève pour partie du « français de spécialité », se focalisant principalement sur le lexique spécialisé et sur la grammaire de spécialité du domaine. Mais l’expérience retracée nous intéresse surtout pour ses conclusions, qui touchent du doigt la réalité du métier de maçon. E. Letertre mentionne en effet un point de résistance à la formation en français qu’elle identifie comme un langage du geste (« tu fais ça » , « tu vois », « c’est comme ça ») que l’outil informatique et la démarche d’enseignement n’ont pu – pour l’instant – formaliser. Pour surmonter cet écueil, il faudrait vraisemblablement prendre appui sur une approche multimodale de l’activité de travail, comme la pratique I. de Saint-Georges (2005) dans ce même secteur de la construction. C’est alors que la demande en FLP peut se révéler quelque peu déstabilisante : son ancrage dans les domaines la rapproche du français de spécialité, mais le fait que des métiers particuliers soient visés requiert une connaissance des postes de travail plus précise, avec un effort d’articulation entre le dire d’une part et le faire d’autre part. Cela implique que le chercheur didacticien s’ouvre à des domaines comme l’analyse des discours et des actions (développée entre autres par J.-P. Bronckart et son équipe à l’université de Genève) et soit attentif aux évolutions de l’ergonomie et des sciences cognitives.
Le monde des artisans
Autre domaine, autre expérience, l’École Boulle, associée à trois autres écoles d’arts appliqués de la ville de Paris, pour constituer une classe internationale composée d’étudiants étrangers (en formation durant une année) provenant de spécialités différentes (gravure, architecture, etc.) et présentant une forte hétérogénéité dans la maitrise du français. Pour ce public, on a conçu un parcours (en collaboration avec quatre étudiants de Master de Paris 3) qui relève du français de spécialité (lexique spécialisé, couleurs, formes, dimensions) de la lecture d’écrits professionnels (revue de design, contrat d’architectes) et de la sensibilisation à l’interculturel (symbolique des couleurs, styles architecturaux, matériaux). La touche « FLP » est cependant ailleurs, car on s’est efforcé de percevoir la logique de certaines tâches professionnelles incontournables, comme la présentation de projet (en réponse à un appel d’offres), laquelle est l’occasion d’exprimer un « parti pris ». Pour ce faire, on a identifié des combinaisons d’opérations logico-discursives à l’œuvre dans de telles présentations, afin d’aider un apprenant étranger à construire ce qui est apparu comme un « récit argumentatif », qui retrace étape par étape les choix opérés afin de les légitimer.
Le domaine de l’informatique
Pour les futurs ingénieurs en informatique enfin, nous avons panaché des activités de lecture et de rédaction d’écrits professionnels (documentation technique, presse spécialisée, etc.) somme toute classiques en FOS avec un travail plus précisément centré sur la logique disciplinaire de l’informatique (qui se structure selon un véritable « discours du cas de figure ») ainsi que sur le rôle de l’ingénieur (par rapport au technicien, au programmeur). Cela a permis de définir ce qu’est une activité d’expertise, à savoir : partir d’un constat pour aboutir à des préconisations. Ce travail, prévu initialement pour des apprenants de FLE et de FLS, qui avaient la particularité d’être mêlés à des natifs au sein des promotions, a été également fort utile aux étudiants relevant du français langue maternelle : il leur a permis de prendre conscience, en se focalisant sur certains mécanismes et connecteurs argumentatifs, de la spécificité de leur futur emploi, au regard d’autres emplois possibles dans le domaine. Apparaît ici l’une des particularités du FLP qui est d’être apprécié de tous les publics en cours de professionnalisation, dans la mesure où il constitue une tentative d’appréhender, par la réflexion sur les discours tenus au travail, la logique même des activités professionnelles. Des perspectives à explorer
Un point didactique consacré à l’émergence du FLP ne saurait seulement décrire des situations originales d’enseignement du français à des fins professionnelles. Il s’agit également de voir ce que ces demandes apportent en termes de problématisation du champ. On retiendra que la nature des publics est, dans de telles demandes, extrêmement hétérogène : elle fait évoluer le FOS sur un terrain qui peut être assez proche du FLS et le conduit même à empiéter sur l’enseignement du FLM (dans des cursus professionnels).
Le second point à mettre en exergue est que le FLP implique une véritable articulation du langage à l’action ; il invite à objectiver des logiques professionnelles inscrites en creux dans les discours, ce qui suppose de conduire la recherche au plus près des terrains. On se trouve alors projeté dans le champ de la recherche-action, qui demande de composer avec des réalités économiques, juridiques et politiques.
Enfin, au plan international, les programmes et les parcours de formation présentés dans cet article se rapprochent de certains travaux européens (dont Odysseus et TRIM) qui parlent plutôt de « seconde langue sur le lieu de travail ». Afin d’éviter toute confusion en français avec le FLS, nous avons choisi de proposer une nouvelle appellation : « Le français langue professionnelle » ou FLP, laquelle a l’avantage d’être symétrique avec le FLM, le FLE et le FLS tout en s’en démarquant.
Florence Mourlhon-Dallies, Université de la Sorbonne nouvelle – Paris III, SYLED-CEDISCOR
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