Publié le 16 juillet 2010 par fdlm
Avec l’informatique est arrivée l’étrange expression point barre. Elle marque à l’oral un arrêt que l’on veut définitif. Sa bizarrerie vient de ce que l’image soit directement empruntée au clavier de l’ordinateur…
Voici quelques années déjà qu’une expression s’est répandue dans la langue française, pour signifier que la discussion était close, qu’il n’y avait rien à ajouter, que celui qui parlait ne voulait pas y revenir : « point barre ». Pourquoi point barre ? Les expressions imagées ne dévoilent pas toujours leur origine de façon claire. Si l’on voit bien l’image qui se trouve derrière, par exemple, il pleut des hallebardes (une forte pluie qui nous transperce comme des lances), peu de gens savent d’où vient le lurette de il y a belle lurette, « il y a bien longtemps » (il s’agit en fait d’une déformation de il y a belle heurette, diminutif de heure). Mais cette barre ? Faut-il entendre point barre comme « ./ », point slash ? Et pourquoi ? Ce qu’il y a ici d’intéressant c’est que, si l’on comprend bien le sens de l’expression, on n’en comprend pas pour autant la logique.
Passons à autre chose
En fait, avec le même effet sémantique, la langue française possédait déjà deux expressions : point final et point à la ligne. Dans les deux cas, et comme pour point barre, il s’agissait d’indiquer de façon péremptoire que l’on passait à autre chose. Et, dans les trois cas, au-delà même des expressions, le ton souligne le sens : on ne les prononce pas de façon douce, pondérée, mais au contraire de façon plutôt violente, on affirme sa force ou son autorité. Mais point final comme point à la ligne faisaient évidemment référence à un texte imprimé et avaient ainsi un sens presque visuel : lorsque l’on va à la ligne, on passe à autre chose, lorsqu’on met un point final encore plus. Et il y avait donc ainsi une sorte de gradation, point final étant plus définitif que point à la ligne, dans les deux cas par référence à l’écriture. Et point barre ? Histoire de clavier J’ai indiqué plus haut que l’on pouvait songer à une barre oblique : ./, et c’était peut-être là une erreur. Sur le clavier de nos ordinateurs, nous avons en effet à droite de la touche point virgule/point une touche deux points/slash, et c’est sans doute ce voisinage qui pousse à cette interprétation. Mais nous avons aussi sur nos claviers une barre d’espacement, au milieu de la dernière rangée. Je viens de taper un point après dernière rangée, et j’ai appuyé sur la barre en question avant d’écrire Je viens de… L’expression point barre, malgré la façon le plus souvent violente ou belliqueuse dont elle est prononcée, serait donc étymologiquement moins définitive que les deux précédentes : on ne va pas à la ligne, on ne met pas non plus un point final, on passe simplement à une autre phrase.
Cet oral qui se réfère à l’écrit
Mais ce qu’il y a d’intéressant dans les trois cas, c’est que ces expressions seraient impossibles dans des cultures de tradition orale puisqu’elles fonctionnent par référence à l’écrit. Il faut savoir lire et écrire pour les créer, pour les comprendre, il faut que la langue soit écrite pour qu’on puisse les inventer. Et il y a d’autres exemples de ce va-et-vient entre oral et écrit. Tout aussi récemment que point barre nous est venue, mais des États-Unis et non pas d’une créativité locale, une façon de marquer, gestuellement cette fois-ci, que l’on prend ses distances avec ce que l’on dit : suggérer des guillemets, en levant les deux mains et en agitant l’index et le majeur de chacune d’entre elles. Tout le monde comprend : ne prenez pas ce que je suis en train de dire au pied de la lettre (et là aussi je fais référence à l’écrit, à la lettre), je le mets « entre guillemets », ou « entre griffes » comme on dit en Afrique. Autre exemple : chaque fois que quelqu’un dit « je souligne », ou que l’on dit que quelqu’un « a souligné » quelque chose, il est fait de la même façon référence à la version écrite de la langue qui, c’est l’évidence, doit être écrite, puisque dans souligner il y a « sous la ligne ». Il serait alors amusant de faire la liste des expressions qui pourraient encore venir de cette dualité oral/écrit. J’en vois une, que je vous propose : les deux points. Je viens d’écrire « : les deux points », et j’ai encodé deux fois la même chose : d’une part, un symbole graphique (comme le point, ou les guillemets) et deux points d’autre part, en toutes lettres. Or les deux points précèdent en général une explication. Je m’explique :…
D’où mon idée. Dira-t-on un jour « deux points » lorsque l’on donnera une explication ? Par exemple : J’ai trouvé l’origine de « point barre », deux points, l’expression ne vient pas du slash mais de la barre d’espacement.
Louis-Jean Calvet
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